ŒUVRE À CROISSANCE ILLIMITÉE À PARTIR D'UN UNIQUE CARRÉ
ALBERT AYME - JEAN RICARDOU
66 pages, format 25x25 cm
texte en sérigraphie noir & blanc
sur papier gris
11 illustrations noir & blanc
4 croquis et documents
Édition originale. Livre rare
50 € : COMMANDER
Bibliophilie :
n° 1 à 25 sous emboitage, avec
un "Paradigme" original d' Ayme
Porter systématiquement la production et la distinction à leur efficace optimale, c'est donc subvertir l'idée de l'œuvre comme unité mystérieuse et intangible, c'est construire un intelligible qui échappe d'autant à l'idéologie persistante très encline, encore, malencontreusement, à ne percevoir un peu partout qu'opérations du Saint-Esprit. Cette subversion, cette construction, voilà, à l'évidence, ce qui caractérise à très haut point le PARADIGME, d'Albert Ayme.
Ce qui se dispose, en effet, rigoureusement, avec ce travail, peut prendre le nom d'effervescence du virtuel… Par virtuel, nous devons entendre ici une catégorie particulière du possible… Les méta-morphoses concernant le virtuel : la transformation qui permet un nouveau dispositif de même niveau… L'aptitude au virtuel d'un ouvrage dépend donc de la lisibilité des règles qui concourent à sa fabrication… Il cesse de s'offrir comme une entité unique en son isolement incomparable… L'aptitude au virtuel est de l'ordre d'une amorce… La transformation tend donc toujours, en quelque manière, à produire une multiplication… Quelquefois, il arrive que la mise en place de ce virtuel soit si intense qu'elle le rend pressant : le virtuel s'inscrit alors en filigrane, selon une manière d'hallucination programmée…
Voici comment procède Albert Ayme : La forme qu'il travaille est choisie selon le critère de simplicité, en vue de permettre l'aisance des opérations, et selon un critère d'équilibre, de manière à éviter les hiérarchies internes. Soit le carré.
Le support est retenu selon le critère de maniabilité, afin de consentir facilement au découpage, et selon le critère de modicité, de façon à ne retenir en rien la multiplication jusqu'aux grands nombres. Soit le carton brut.
La peinture est admise selon le critère de la valeur, et passée selon une technique très neutre, pour obtenir, hors tout accident, sa régularité réitérable. Soit les deux valeurs extrêmes : le noir, le blanc, appliquées au pochoir… Le jeu valoriel de la peinture et du support exige que ce dernier présente la valeur médiane, apte à se rapporter également aux deux extrêmes : le gris diamétral, dont parle Klee… Il est ici, statutairement, un véritable composant pictural.
Ce qui est mis en œuvre, ensuite, ce sont des triades… On le devine : le nombre de ces triades est considérable… ce qui répond à la formule combinatoire… Alors, les cartons peints de chaque triade sont superposés… Alors, l'intervention chirurgicale peut s'accomplir... la découpe et l'extraction d'un carré… puis d'un deuxième carré… les deux découpes vont subir une intersection… Ainsi, ce qui se propose, ce n'est en rien le mirage d'une profondeur apparente : c'est la complexité d'une stratification réelle… Avec la découpe, telle surface en découvre une autre en s'abolissant elle-même.
Bref, il s'agit d'un succulent équilibre des contradictions… Cette effervescence double, celle de l'espace aux paradoxes toujours dynamiques, celle du virtuel aux aptitudes toujours effectives… Puisque l'emplacement des carrés peints ou non peints est variable… Puisque l'emplacement de la double découpe est en mesure de varier à plaisir… La combinaison de ces deux sortes de variations ouvre donc la quantité des solutions à un innombrable.
C'est l'ensemble de telles virtualités, où chacune se distingue de l'autre par la plus petite différence sensible, qu'Albert Ayme appelle PARADIGME. Nous le comprenons : le paradigme jouit d'une manière de croissance illimitée…
Avec Mallarmé, nous le savons, le phénomène se formulait ainsi : "L'œuvre pure implique la disparition élocutoire du poète, qui cède l'initiative aux mots" . Avec Albert Ayme, nous le voyons, il pourrait s'énoncer de la sorte : "Le PARADIGME implique la disparition combinatoire de l'artiste, qui cède l'initiative aux règles".
J.R. - Écrivain, théoricien