ALBERT AYME - RÉTROSPECTIVE - 1960 ... 1992

ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DES BEAUX-ARTS DE PARIS Edition TRAVERSIÈRE Catalogue de la Rétrospective comprenant :
œuvres, biographie, bibliographie, et 5 textes
d'Albert Ayme, Ivan Darrault, Jean-François
Lyotard, Jean Petitot, Georges Roque

288 pages, format 29x28 cm
110 illustrations couleur, 167 noir & blanc
54 croquis et "diagrammes"
Édition originale, publiée grâce au
mécénat de la Fondation Crédit Lyonnais
53 € : COMMANDER

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Extraits du texte de Jean PETITOT :

L'ESTHÉTIQUE TRANSCENDANTALE OU LE DE STRUCTURA PINGENDI D'ALBERT AYME.

S'il n'est pas connaissance, quête de savoir et recherche de vérité, l'art n'est, objectivement parlant, rien… Comme on le sait depuis la Renaissance (Vinci), la peinture est "cosa mentale". L'œuvre d'A.A. s'inscrit dans la généalogie de cette quête platonicienne de l'intelligible… Il s'agit d'un peintre abstrait ayant construit de toutes pièces un langage pictural spécifique, autonome et complet… L'œuvre frappe par la cohérence et la rectitude à la fois scientifiques et poétiques de sa progression… Je considère pour ma part -et de nombreux penseurs l'ont affirmé avant moi- qu'A.A. est tout simplement, de très loin, le plus significatif et le plus scientifique de nos peintres… Cette réussite rare est due au fait qu'il a su et pu aller très loin dans la reconnaissance des principes structuralistes constitutifs de tout système sémiotique…

Toute l'esthétique d'A.A. repose sur une exploration des rapports du temps à l'espace en tant que formes pures. Elle se fonde sur une esthétique transcendantale… L'extrême rigueur rationnelle de son langage pictural est la condition de possibilité de sa liberté imaginative. C'est elle qui, comme en musique, permet de déployer l'infinitude ouverte d'un monde compositionnel riche et imprévisible…

A.A. est un théoricien d'ampleur. Étrangers à tout intellectualisme "culturel", d'une sobriété à la mesure de l'exigence qui les anime, ses textes font partie des grands moments de la science picturale. Je leur appliquerais volontiers le jugement qu'A.A. a appliqué lui-même à Van Gogh : "Je découvris en lui la lucidité, la pertinence, une science picturale prestigieuse, d'essence quasi musicale". J.P. - Directeur du Séminaire d'Épistémologie des Mathématiques
de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales

Extraits du texte de Jean-François LYOTARD :

SUR LA CONSTITUTION DU TEMPS PAR LA COULEUR DANS LES ŒUVRES D'ALBERT AYME.

Cette œuvre si étendue déjà est comme un seul bloc de cristal, elle en a la transparence, la pureté morphologique, la dureté, la résonance et l'improbabilité. Ces propriétés, on les retrouve quels que soient les matériaux dont elle s'est faite tour à tour… Ce qui est sollicité ce n'est pas la sensibilité aux transitions esthésiques, mais l'intelligence des éléments et des combinaisons…

Avec les superpositions transparentes des couleurs en séries ordonnées non quelconques, le temps cesse d'être un effet de l'œuvre sur un destinataire, il est inclus en elle…Un harcèlement du temps par la couleur…Les deux formes du changement, altération et mouvement, synchronie et diachronie, produisent "le temps" ensemble ; l'une est toujours "dans" l'autre… On reconnaît un système de rimes embrassées-croisées : a b c b c a. Chacune des plages chromatiques est en outre comme un anagramme des autres, puisqu'elle est composée des mêmes éléments disposés autrement…

Comme toujours, l'enjeu et la portée de l'œuvre sont à chercher dans la minutie du dispositif… Il émancipe le jeu chromatique des règles imposées par le modèle de la représentation, ou de l'expression, ou de la perception, ou du fantasme. Et ainsi il invente un nouveau jeu dont les règles sont inspirées par un modèle combinatoire et réflexif (une sorte de modèle leibnizien). Ce modèle de jeu (le paradigme) est ce qui gouverne toutes les recherches d'A.A… Le vouloir-pouvoir hantant un homme, qui l'assume sans défaillance…

J-F.L. - Philosophe

Extraits du texte de Ivan DARRAULT :

ALBERT AYME, À LA RECHERCHE DU TEMPS VÉCU.

Un projet scientifique, et non une aventure de création esthétique. On jugera que cet abord est le seul qui soit à nos yeux respectueux de la nature même de l'entreprise d'Albert Ayme, à laquelle il assigne une finalité clairement scientifique :résoudre des "problèmes objectifs"… Sa démarche de construction théorique et méthodologique apparaît fondamentalement soustractive… Ainsi le concevoir l'emporte-t-il chronologiquement, logiquement sur le faire voir (la réalisation de l'œuvre), dont, à la limite, on pourrait songer à faire l'économie… De fait, tout regard rétrospectif sur l'œuvre d'Albert Ayme ne peut qu'enregistrer avec fascination la suite réglée, irréversible d'auto-privations hautement préméditées et justifiées (rien, ici, d'une aveugle rage ascétique) constitutives, au-delà du projet scientifique, d'une véritable "philosophie de la vie" fusionnant éthique et esthétique…

Tout indique que, depuis le début de son entreprise, Albert Ayme fait, ne fait que ce qu'il dit vouloir faire, que l'œuvre se résout en réalisations sérielles d'un projet central, unique, entêté… Vouloir posséder le temps, l'inscrire, l'enclore dans l'œuvre présuppose en effet une totale libération, un désancrage du signifiant pictural quant aux servitudes de représentation... Donnant l'invisible à voir, dans une opération de déconstruction-reconstruction de l'œuvre, qui, à l'image de l'outre des vents, contient, fixé, emprisonné, le temps. Nous touchons ici, presque malgré nous, à la dimension mythique de l'entreprise d'Albert Ayme qui, à l'instar du "héros" antique, nous transmet un "don" symbolique inestimable…

I.D. - Psycho-sémioticien, chercheur au C.N.R.S
Directeur d'études à l'université Rabelais de Tours

Extraits du texte de Georges ROQUE :

NOTES SUR LA PARTITION DES COULEURS.

Penser par la couleur… Chez Ayme la couleur est un instrument au service d'une "pensée chromatique"… D'où le renversement : le visuel n'est pas fétichisé, ni le rétinien, l'esthétique n'étant plus première… Le coup de force consiste ici à rabattre la syntaxe sur les primaires, sous forme du tressage (ici le trois est roi) qui assure le fonctionnement immanent du travail de la couleur…Donner à voir, pour ainsi dire à nu, l'énonciation de la couleur…La simultanéité y apparaît comme une conséquence de la transparence : les couches posées successivement sont visibles simultanément…

"Paradigme du Bleu Jaune Rouge". Logique des couleurs primaires… Le versant dans lequel se situe Ayme, serait syntaxique, cherchant des règles d'agencement combinatoire, afin de doter ce vocabulaire d'une grammaire… Un des paradoxes d'Ayme : dépersonnaliser le travail (en évitant de rabattre la force énonciative sur sa personne), tout en restant le seul à pouvoir mener à bien ce travail…

On dit toujours d'une règle qu'elle "souffre" d'exceptions. Non, elle n'en souffre pas : elle en vit. Ainsi du travail d'Ayme. La force d'attraction, d'aimantation que consiste Paradigme , son rôle précisément paradigmatique -(équation qui rend possible une mise sur orbite)- ne doivent pas faire oublier que les règles strictement combinatoires qu'il a mises au jour n'ont de sens qu'à être transgressées, s'il est vrai que le peintre a éthiquement horreur de se répéter… Aussi faut-il insister sur l'impression d'invention et de perpétuel renouvellement qui caractérise l'œuvre : la rigueur et la logique combinatoire…l'entraînent dans une recherche d'autant plus exigeante que les contraintes sont fortes. G.R. - Chercheur en esthétique au C.N.R.S

Fragments du "credo" d'Albert AYME :

STRATÉGIE, MÉTHODES ET PRATIQUES PICTURALES.

-Mon éthique n'est pas celle de la production. -La peinture comme objet et moyen de connaissance. -Les problèmes picturaux attendent nos réponses. -Les méthodes sont inclusives des œuvres. -Mon propos est d'ordre logique, non psychologique ou esthétique. -Création d'un langage pictural spécifique. -Le logicien et l'intuitif travaillent de concert. -Les capacités opératoires. -Avec chaque œuvre j'aspire à la mutation. -L'économie maximum de moyens est la règle latente. -Proscription de tout signifié extra-pictural. -Occuper un lieu mental. -Il consiste à penser les lois. -Primauté des fins sur les moyens. -Occuper la place virtuelle du peintre générique. -La règle poussée jusqu'à ses ultimes conséquences débouche sur le délire objectif. -L'inconscient est irrépressible. -Une logique irrationnelle de l'aléatoire. -Stratification de structures transparentes. -Superpositions additives et soustractives simultanément. -Principe chromatique rigoureux. -Principe de discontinuité. -Ébranlement rythmique de la couleur. -Enfermer le temps dans l'espace. -Innovation d'une méthode de tressage de la couleur. -Constitution d'un temps pictural. -Espace-temps-mouvement. -Ordre ternaire qui gouverne ma pensée. -Bleu, Jaune, Rouge, les 3 primaires exclusivement. -Ma grammaire des couleurs. -Affinité avec un univers d'essence musicale. -Œuvre sérielle et non pas œuvre de série. -Peinture polyphonique. -La notion de constellation. -Paradigme : œuvre à croissance illimitée. -Variété obtenue à partir de l'unité. -Confrontation dynamique entre le réel et le virtuel. -Une création pluri-lectique. -Multiple et unique simultanément. -De l'individuel autonome à l'ensemble infini. -Mes sources, tant intellectuelles que sensibles, restent essentiellement lyriques. -L'éthique meut secrètement et détermine la technique. -Le pourquoi de l'œuvre comme moteur de son comment. -L'art est une science poétique inaliénable. A.A.

Les pages de la "biographie Albert Ayme" du Catalogue
accompagnent le dernier texte, conclusion de l'artiste :
"La Peinture comme Fiction Poétique"

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