à la mémoire de Francis Ponge
ALBERT AYME
24 pages, format 19x15 cm
1 illustration couleur
2 lettres de Francis Ponge
Édition originale
5 € : COMMANDER
Bibliophilie :
n° 1 à 25 avec une
Peinture originale d'Ayme
La racine de ce qui nous éblouit est dans nos cœurs, Francis Ponge. Le Soleil placé en abîme.
En 1953… chez Denise Parrot, d'emblée, mes natures mortes sont reçues avec une grande faveur et Le Parti Pris des Choses de Francis Ponge dont j'ignorais jusqu'à l'existence est évoqué. Prévenu, il vient le lendemain. Il est accompagné de Germaine Richier et de son mari René de Solier rédacteur en chef de la N.R.F, de Jean Bouret critique d'art des Lettres Françaises, de Cécile Eluard et du peintre Vuilliamy…
Quelques jours plus tard je suis reçu rue du Bac, chez Yvonne et Christian Zervos directeur des Cahiers d'Art… Tous me pressent de rester parmi eux. Germaine Richier me promet son appui pour le Salon de Mai qu'elle préside. Bref je suis adopté. Mais je dois décliner leur offre généreuse et retourner à Toulon où, Ingénieur du Génie Rural, je vis avec ma famille. J'ai alors 33 ans et Francis Ponge 54…
Cette rencontre, si imprévisible, avec Francis Ponge, a tenu dans ma vie un rôle déterminant… Le travail sur des formes à variations m'étant familier, je privilégiais l'étude de ses méthodes de création, et plus encore me délectais aux lectures renouvelées du Carnet du bois de pins, grâce au jeu combinatoire des phrases permutables… Cette première période dans notre amitié s'étend de 1953 à 1960 et couvre les dernières années de ma période figurative… Comme je venais à Paris de temps à autre, il m'avait vivement recommandé de lui téléphoner. Il me donnait alors invariablement rendez-vous à la sortie de ses cours de lecture à l'Alliance Française…
Sa simplicité m'émouvait. Je le savais pauvre, ce qui l'ennoblissait d'autant plus à mes yeux.Nous avons choisi la misère, disait-il, pour vivre dans la seule société qui nous convienne, "la société du génie", bien entendu ! Quel modèle pour moi ! Les réflexions auxquelles son œuvre m'exposait accélérèrent sans aucun doute ma conversion à l'abstraction… Francis Ponge fut le témoin sensible de ce cheminement… Par les seules vertus intrinsèques de son œuvre… il devint mon "maître à penser" : rigueur et jouissance allant de pair avec méthode et poétique, soit la conviction et les charmes. Le prestige de cette œuvre m'en imposait, plus qu'aucune peinture ne l'a jamais fait…
Ponge se démarque radicalement de tous par son projet admirablement traduit dans Pour un Malherbe, le fait que chaque texte élaborant sa propre théorie émane d'une vision globale...Autre enjeu qui lui est propre. Son Eros est intrinsèque de l'écriture et non, comme tant de fictions, tributaire d'un signifié extra-littéraire. Avec L'Œillet, la langue française jubile en glorifiant son objeu érotique spécifique…
A partir de mon passage à l'abstraction et de la démission de mon poste d'ingénieur au Ministère, en 1960, je décidai de rester à Paris dans des conditions de vie extrêmement précaires… nos rapports prirent alors un ton plus intime, je crois pouvoir dire paternellement affectueux de sa part… Dans nos discussions, il omettait rarement de commencer ses phrases par : Vous qui n'êtes plus dans le domaine de l'expression.., ce qui correspondait parfaitement avec sa formule célèbre : Quelque chose à obtenir et non quelque chose à exprimer… Jamais il ne cessa de m'encourager, de m'aider…
Dans les dernières années les contraintes de l'âge et les charges de sa réputation m'imposaient l'observance d'une réserve absolue… Hommage de ma gratitude, j'avais prévu de lui dédier mon dernier ouvrage dont je préparais la publication : Tombeau de Van Gogh, lorsque cet été 1988, j'appris brutalement sa disparition. Touché, je le fus, et intimement ! Je ressentis alors combien mon attachement était loin d'être seulement intellectuel !.. Chaque année, le 6 août, je ne manque pas d'envoyer un signe au Bar-sur-Loup.
A.A. 6 Aout 1997